Le Liban : littérature et arts au féminin

liban al joundi tete articleTout commence par un grand cri, un soir de 2007 pendant le festival d'Avignon. Darina al-Joundi, écrivain et actrice libanaise, se produit sur scène. Dans un décor minimaliste, cette tornade rouge offre au public un texte d'une énergie poétique extraordinaire, un texte qui vient de l'intérieur.
Frappée et émue par la personnalité de cette femme, je m'intéresse alors au bouillon de culture libanais. Et là, je découvre des pépites.
Quelle que soit la forme choisie - poésie, roman, théâtre, cinéma, musique - des femmes écrivains, une réalisatrice, une musicienne donnent à voir un Liban énergique, vivant, joyeux, sensuel, et pas seulement un Liban ravagé par les guerres successives. Je vous propose de les rencontrer ci-dessous.
D'autre part, je n'ai pas pu résister à l'envie de convoquer ici Salah Stétié, poète et essayiste libanais qui sait merveilleusement parler des femmes...
Dans toutes ces oeuvres, beaucoup de douceur, d'amour et de sensualité. Alors, séance tenante, accordez-vous une grande et belle parenthèse libanaise.

Ce que signifie être une femme libre au Liban

Dans les deux textes autobiographiques qui suivent, écrits à une vingtaine d'années d'écart, les auteurs évoquent la difficulté d'être une femme libre de ses pensées et de ses mouvements dans un pays qui ne leur accorde justement aucune liberté...


histoire de zahraliban le jour ou nina simoneHistoire de Zahra / Hanan El-Cheikh - Actes Sud, 2005 (première édition : 1985)

Ecrit comme une autobiographie, ce roman raconte la douloureuse libération d'une jeune fille chiite du sud du Liban châtiée par la société pour avoir transgressé l'interdit.
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Le jour où Nina Simone a cessé de chanter / Darina al-Joundi - Actes Sud, 2008

L'auteure raconte comment, poussée par un père profondément laïc, elle a refusé la soumission à la religion avant de vivre la folie des nuits électriques, la drogue, le sexe, etc. Elle raconte les dix-sept années de guerre civile et les transformations qui ont vu la société libanaise passer de la liberté la plus folle à une religiosité dangereuse.
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Deux récits forts, violents mais lumineux, parce que portés par une écriture enragée et un formidable espoir.


La guerre et la lumière

Nadine Labaki rejoint la résidence du Festival de Cannes pour l'écriture et le développement de longs-métrages en 2004. Réalisatrice réputée pour la qualité de son travail, ses films sont pleins de vigueur, de poésie, de lumière et d'humour. Et pourtant, il y est question de la guerre, de la religion et de la place de la femme dans la société libanaise. De guerre et d'amour, il est également question dans le sublime roman d'Hoda Barakat, Le laboureur des eaux.


et maintenant on va ouEt maintenant on va où? / réalisé par Nadine Labaki - 2011

Avec pour toile de fond un pays déchiré par la guerre, Et maintenant on va où? raconte la détermination sans faille d'un groupe de femmes de toutes religions à protéger leur famille et leur village des menaces extérieures. Faisant preuve d'une grande ingéniosité, inventant de drôles de stratagèmes (quel spectateur ne s'esclaffera pas à l'arrivée de jeunes et belles ukrainiennes pour calmer les ardeurs belliqueuses des maris...!), unis par une amitié indéfectible, les femmes n'auront qu'un objectif : distraire l'attention des hommes et leur faire oublier leur colère et leur différence. Avec ce sujet qui pourrait paraître difficile, Nadine Labaki nous livre un film plein d'humanité et d'humour.
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Le laboureur des eaux / Hoda Barakat - Actes Sud, 2001le laboureur des eaux

Comme son père et son grand-père, Nicolas est un commerçant aisé de Beyrouth, où il possède un célèbre magasin d'étoffes. A la veille de la guerre civile, il perd ses parents et sa maîtresse, Chamsé... Hoda Barakat nous livre ici un roman érudit. Le texte est savamment orchestré, avec alternance de chapitres sur le passé et le présent. Mais la magie du roman réside dans la puissance d'évocation de la langue : les mots vous transportent dans l'univers raffiné et sensuel des étoffes (lin, velours, soie). Hoda Barakat tisse subtilement les métaphores entre l'histoire avec un grand H, le travail des tisserands et l'histoire d'amour de Nicolas et Chamsé. Un très, très grand roman.
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Sensualité, raffinement : la poésie de Salah Stétié

Lecture d'une femme / Salah Stétié - Fata Morgana, 1988

lecture dune femmeCe court récit nous parle d'Héléna et de l'amour qu'elle inspire au(x) narrateur(s). Rien de mieux que les propres mots de Salah Stétié pour vous donner l'eau à la bouche...
"Je savais qu'il l'avait "éveillée". L'homme de l'éveil est assurément celui qui, sur une femme, laisse la plus profonde marque. Endormie dans l'amande de son enfance, la jeune fille pourrait demeurer là pour l'éternité si ne survenait le cueilleur aux doigts longs et aux dents fermes devant qui l'amande s'ouvre et se livre, gourmande de sa gourmandise, convoitante d'être par lui convoitée [...]. Ceux qui viendront plus tard seront toujours, de cet homme-là, par de compliqués détours, les tributaires [...]. Ils seront, pour singuliers et divers qu'ils fussent, les fils d'un même père".

Méditation sur la mort d'une figue / Salah Stétié - A travers, 2001

Méditation sur la mort d'une figue est un poème que Salah Stétié a composé en regard de sept photographies de Jacques Clauzel. Là encore, la métaphore fait merveille. Magnifiquement composé, l'ouvrage est un petit bijou, une véritable oeuvre d'art.
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A la question "votre qualité préférée chez une femme?", Salah Stétié répondait en février 2015 : "La volonté d'être". Zahra, l'héroïne de Darina al-Joundi, et les cinq femmes du film Caramel, sont de cette trempe-là : bien vivantes, présentes au monde, présentes au monde, à Beyrouth, avec une formidable envie d'exister.

 

Et la vie continue : dans l'intimité des femmes à Beyrouth

Il faut absolument lire le court texte de Darina al-Joundi (paru dans le magazine La pensée de midi) sur la vie dans un salon de beauté beyrouthin : éclats de rire garantis, émotion qui affleure. Mêmes effets avec Caramel. Bon sang, on voudrait être des leurs et partager tous ces moments. Alors, ne vous privez pas!

Zahra. Dans l'intimité d'un salon de beauté à Beyrouth / Darina al-Joundi, "La pensée de midi", n°20, 2007

Le sous-titre de ce récit donne la couleur : "Ou comment découvrir, là où on ne s'y attend pas, les vraies différences entre Parisiennes et Beyrouthines". A lire à voix haute, pour encore plus de plaisir!
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Caramel / réalisé par Nadine Labaki - 2004

Véritable hymne à la vie, le film Caramel est la preuve que l'on peut écrire un film magnifique, généreux, gourmand dans un pays marqué par la guerre. Tourné dans un salon de coiffure à Beyrouth, le film suit le destin de cinq femmes de cultures et milieux différents qui se rencontrent par hasard dans ce milieu insolite. Elles parlent d'amour, du mariage, des hommes, de la société, de la vie en somme... Elles résistent et s'entêtent à vivre. Un grand moment de cinéma et d'émotion.
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A propos de gourmandises, laissez-vous tenter par la cuisine orientale...

 

Gourmandises libanaises

De 1998 à 2009, les éditions Actes Sud ont proposé une collection de livres de cuisine, L'orient gourmand. Bien sûr, ces livres contiennent des recettes, mais pour chaque titre, les auteurs ont développé une approche historique et contextuelle, apportant une réelle valeur ajoutée à la compréhension du mode de vie des peuples concernés.

le mezze libanaisLe mezzé libanais : l'art de la table festive / Rudolf El-Kareh ; illustrations de Fabien Seignobos - Sinbad-Actes Sud (collection L'orient gourmand), 1998

L'auteur nous explique dans cet ouvrage que "les fées qui ont été les marraines du mezzé épousent le cours tumultueux de l'Histoire, des empires et des cultures, des steppes mongoles à l'Andalousie en passant par la Mésopotamie et l'Empire ottoman". Il analyse les confluences qui ont fait du mezzé, au Liban, au-delà de ses cousinages régionaux, un véritable "monument national". Une soixantaine de recettes, commentées avec humour et sensualité et agrémentées d'anecdotes pittoresques ou nostalgiques, viennent montrer que la mâza est d'abord une esthétique en partage. Bon appétit!

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Et comme la vie serait triste s'il n'y avait pas la musique...

cover yasmineImpossible de terminer sans évoquer le superbe album Ya Nass de Yasmine Hamdan (2013), nouvelle version de son premier album éponyme sorti l'année précédente. A écouter en boucle, en lisant, en cuisinant, et surtout en ne faisant rien! Voix envoûtante, textes traditionnels chantés en dialecte koweïti, palestinien, égyptien ou bédouin, mélodies à la croisée des musiques traditionnelles et de la pop. Une vraie réussite.

 

 

Pour aller plus loin sur les littératures arabes

La revue en ligne L'orient littéraire, créée par Salah Stétié.

Revue La pensée de midi, n°20 (mars 2007): "Beyrouth, XXIe siècle". Fondée en 2000, La Pensée de midi était une revue littéraire et de débats d'idées, construite comme un lieu d'échanges sur la Méditerranée contemporaine. Basée à Marseille, elle réunissait dans son comité de direction écrivains, sociologues et historiens de renom, sous la direction de Thierry Fabre. La revue a disparu en 2011, faute de soutien financier. Tous les numéros sont disponibles à la Bibliothèque départementale.

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Nadine, Bibliothèque départementale